Déclaration conjointe

Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples : 66ème session ordinaire

Point 8 de l’ordre du jour : rapports d’activités des Membres de la Commission et des Mécanismes spéciaux

13 juillet au 07 août 2020

Monsieur le Président,

Nous nous adressons à vous au nom de la Coalition mondiale contre la peine de mort et de ses organisations membres ECPM, FIACAT, FIDH, Foundation for Human Rights Initiative, the Kenya Section of the International Commission of Jurists, et Reprieve.

Ces organisations souhaitent attirer l'attention de la Commission sur la situation actuelle de la peine de mort sur le continent africain compte tenu de la pandémie COVID-19 qui sévit dans le monde entier.

Depuis janvier 2020, le continent africain ainsi que le monde entier vit une situation à maints égards exceptionnelle qui révèle à quel point la santé publique est un impératif majeur, justifiant mesures d’urgence, mise en sommeil d’une grande partie de l’activité économique. Cette pratique archaïque, cruelle et dégradante qu’est le châtiment capital n’est, elle, pas confinée.  

Nous sommes déçu que les exécutions continuent en temps de pandémie. Et alors que l’on aurait pu imaginer que compte tenu du contexte sanitaire, les Etats cesseraient au moins d’exécuter, sinon de condamner, la réalité est tout autre : depuis février 2020 il y a eu 3 exécutions au Botswana, 12 en Egypte, et 8 en Somalie. C’est particulièrement inquiétant étant donné que le COVID-19 rend toute représentation juridique équitable impossible. Le 5 mai 2020, au terme d’un procès qui n’avait duré que trois heures, la Cour d’Ikeja de Lagos, au Nigéria, a condamné à mort Olakelan Hameed pour un meurtre commis en décembre 2018. La sentence a été prononcée par l’application de visio-conférence Zoom.

Dans ce marasme, qui ajoute de la mort à la mort, quelques raisons d’espérer toutefois : ainsi le Président camerounais a promulgué, le 15 avril, un décret accordant des remises de peine et des commutations et qui concerne entre autres les condamnés à mort : pour certains des personnes condamnées au châtiment capital bénéficient d’une commutation à l’emprisonnement à vie ; celles dont la peine de mort a déjà été commuée en emprisonnement à vie sont désormais condamnées à 25 ans ; les personnes condamnées à mort et ayant déjà bénéficié d’une commutation de peine se verront accorder une remise de peine de 5 ans. Toutefois, plus d’un tiers des personnes condamnées à mort depuis 2015 le sont pour des infractions liées au terrorisme, infractions exclues des mesures prises par le décret. Le Zimbabwe a commué toutes les peines des personnes croupissant dans les couloirs de la mort depuis plus de 10 ans et le Kenya a libéré 8 condamnés à mort. Au Tchad, une nouvelle loi sur le terrorisme a été adoptée à l’unanimité, qui supprime la possibilité de punir de la peine de mort les auteurs d’actes qualifiés de terroristes et abolit donc totalement la peine de mort. Au Maroc, grâce à l’action de la société civile, 5 654 puis 483 détenus vulnérables ont bénéficié d’une grâce, dont une femme condamnée à mort.

Monsieur le Président,

Nous appelons pour que soient prises des mesures concrètes pour garantir le droit à un procès équitable et le droit à une représentation juridique en temps de COVID-19, notamment en allongeant les délais dans lesquels les condamnés peuvent former un recours et à appliquer un moratoire sur les condamnations et les exécutions. La crise sanitaire mondiale que nous vivons nous démontre à l’envi quels effets profondément injustes peuvent avoir, sur des personnes déjà fragilisées par la sentence qu’elles subissent, l’absence de visite dans les couloirs de la mort ou un système dans lequel juges et avocats ne peuvent travailler normalement.

Par contraste, les pays qui ont eu le courage, pendant cette période, de faire un pas, petit ou grand, vers l’abolition mettent en lumière le fait que nous vivons toutes et tous mieux dans un monde sans cette peine qui aurait dû depuis longtemps être rangée aux oubliettes de l’Histoire. A une époque où beaucoup estiment que nous pouvons soit régresser soit, au contraire, profiter de la crise pour avancer plus rapidement vers l'abolition universelle de la peine de mort, nos organisations appellent tous les Etats membres de l'Union africaine, et en particulier les Etats abolitionnistes, à soutenir l'examen et l'adoption par l'Union africaine du projet de protocole à la Charte africaine sur l'abolition de la peine de mort, adopté par la CADHP lors de sa 56e session ordinaire, en avril 2015. Cet instrument n'engagerait que les Etats qui le ratifient, et pourrait ainsi constituer un outil de soutien à l'action politique des nombreux Etats africains qui s'orientent actuellement vers l'abolition. A l'heure où la composition de la Commission africaine vient d'être renouvelée, y compris celle de son Groupe de travail sur la peine de mort, les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et les disparitions forcées en Afrique, nos organisations réaffirment leur volonté de soutenir les travaux de la Commission en général, et du Groupe de travail en particulier, pour parvenir à l'abolition continentale de la peine de mort au bénéfice des populations africaines.

Le 10 octobre prochain, la société civile se mobilisera pour célébrer la 18ème Journée mondiale contre la peine de mort qui mettra en exergue le droit des personnes qui encourent une sentence de mort à être représentées en justice. A cet égard, le rôle des avocats dans la protection des personnes confrontées à la peine capitale est essentiel, alors même que cette protection est aujourd’hui fissurée par la crise sanitaire puisque les avocats peuvent moins facilement assister leurs clients et sont par ailleurs fragilisés économiquement.

Merci.