58ème Session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
Banjul, Gambie, 6 - 20 avril 2016
Point 3 de l’ordre du jour : situation des droits de l’homme en Afrique
Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs les Commissaires,
La Fédération Internationale de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, la FIACAT, et son réseau d’associations présentes dans 16 pays d’Afrique subsaharienne, sont particulièrement préoccupées par la dégradation de la situation des droits de l’homme en Afrique. Les évènements récents, violences constatées lors des élections, intimidations des défenseurs des droits de l’homme, menaces terroristes constantes, fragilisent sans cesse les acquis de la Commission et les droits fondamentaux sur lesquels elle travaille depuis près de 30 ans. L’année 2016 étant l’année des droits de l’homme en Afrique, nous ne pouvons qu’encourager toutes les initiatives de la CADHP en faveur de la protection et la promotion des droits de l’homme.
Madame la Présidente,
La FIACAT et ses membres travaillent depuis de nombreuses années dans les prisons et constatent que les délais légaux entourant la détention préventive ne sont que très rarement respectés. Les personnes placées en détention préventive constituent plus de 50% de la population carcérale dans la plupart des pays africains. Dans certaines prisons, ce taux atteint les 80 voire les 90%.
Ces cas de détention préventive abusive engendrent de nombreuses conséquences, à la fois dans les prisons et à l’extérieur. Tout d’abord, le non -respect des délais légaux de détention provisoire augmente substantiellement la surpopulation carcérale, entrainant une réduction des rations alimentaires et de l’espace pour les détenus, favorisant le développement de maladies et diminuant l’accès aux soins. De plus, à l’extérieur, la détention préventive abusive, entraine notamment la stigmatisation sociale, une diminution des ressources et des difficultés de réinsertion. Selon les textes régionaux et internationaux, la détention préventive, notamment lorsqu’elle est abusive, peut constituer un acte de mauvais traitements, voire de torture. En adoptant les Lignes directrices de Luanda sur l’arrestation, la garde à vue et la détention provisoire lors de sa 55ème Session ordinaire, la CADHP a souhaité faire de cette thématique une priorité. Cette initiative doit être accompagnée par la diffusion de ces lignes directrices. La FIACAT s’y est engagé avec son réseau et participe activement à la formation et au monitoring dans les prisons en Afrique, pour prévenir les actes de torture. Elle a ainsi contribué en 2015, à la libération de plus de 100 prévenus en situation de détention abusive au Bénin et en Côte d’Ivoire.
Madame la Présidente,
Concernant la peine de mort, la FIACAT est préoccupée par les lois anti -terroristes adoptées notamment par le Cameroun et le Tchad. Ce dernier pays a malheureusement repris les exécutions après 12 ans de moratoire. En août 2015, 10 condamnés à mort ont été exécutés dès le lendemain de leur condamnation, remettant ainsi en cause les obligations de l’État énoncées au paragraphe 24 de l’Observation générale n°3 sur la Charte africaine relative à la vie.
Parallèlement, la FIACAT note plusieurs évolutions positives concernant la peine de mort en Afrique. La tendance actuelle est à une diminution du nombre de condamnations et d’exécutions. De plus, si la procédure utilisée reste fortement discutable, la République du Congo a aboli la peine de mort par référendum en octobre 2015. Toujours en 2015, Madagascar a aussi aboli la peine capitale et la Côte d’Ivoire a retiré de son Code pénal, toute référence à la peine de mort. Aujourd’hui, 19 Etats membres de l’UA ont aboli la peine de mort en droit, au moins 18 appliquent un moratoire de fait sur les exécutions capitales. Cependant, de nombreux États maintiennent toujours la peine de mort dans leur législation.
Il est donc du devoir de la Commission d’encourager tous les États membres à abolir la peine de mort et à adopter un texte régional renforçant l’article 4 de la Charte africaine. La FIACAT, en partenariat avec la Coalition mondiale contre la peine de mort et la FIDH, en collaboration avec le Groupe de travail sur la peine de mort en Afrique de la CADHP, travaille depuis plusieurs années sur cet instrument régional qui a été adopté par la Commission lors de sa 56ème session ordinaire, mais qui doit encore l’être par l’Union africaine. La FIACAT et ses partenaires invitent les États africains qui ont déjà aboli la peine de mort, à soutenir les travaux de la Commission dans ce domaine.
Madame la Présidente,
La FIACAT souhaite enfin interpeler une nouvelle fois la Commission sur la crise que traverse actuellement le Burundi. Depuis l’annonce du Président Nkurunziza de briguer un troisième mandat, la situation n’a cessé de se dégrader. Les manifestations ont été violemment réprimées et les opposants et organisations de défense des droits de l’homme sont victimes de représailles, d’actes de torture ou ont été exécutés. Les principales figures de la société civile burundaise et de nombreux autres défenseurs des droits de l’homme ont dû quitter le Burundi pour se réfugier dans les pays voisins. C’est notamment mon cas en tant qu’avocat, défenseur des droits et l’homme et Président de l’ACAT Burundi.
Depuis le début du conflit, des centaines de personnes ont trouvé la mort. De récents rapports font état de charniers découverts dans différentes régions du pays. Malgré les récentes visites de la CADHP, du Secrétaire général des Nations Unies et d’une délégation de chefs d’État de l’Union africaine, ainsi que les discussions menées avec l’Union européenne, les signes d’une amélioration de la situation ne sont pas palpables et le risque d’un nouveau génocide dans la région reste réel.
Devant l’urgence, il est impératif que la Commission, l’Union africaine et la Communauté internationale prennent leurs responsabilités, pour éviter que la population burundaise ne soit décimée et la région déstabilisée par un nouveau cycle de violence à grande échelle.
Je vous remercie.